L’enseignant face à une classe et une trentaine d’individus
Le positionnement de l’adulte face à l’enfant va énormément influencer le climat et donc les conditions d’apprentissage. Bien trop souvent encore aujourd’hui les enseignants ne se rendent pas compte de leur attitude, et n’ont pas l’entraînement nécessaire pour bien se positionner face à leur classe. Pour maintenir le calme propice à la concentration, il reste une image d’autorité ancrée encore solidement dans l’enseignement. Et comment ne pas se laisser dépasser par une bonne trentaine d’enfants, capter leur attention ?
Qui de vous, a le souvenir de l’enseignant autoritaire et intransigeant ? Qui de vous se souvient d’un enseignant en particulier, et pourquoi ?
J’ai admiré une enseignante de mon fils en CM2. Elle captait son auditoire telle une comédienne, jouant de son corps en aller-retour et venues entre les rangées de table, montant un énorme suspens sur tout ce qu’ils allaient pouvoir apprendre en cette dernière année chez les petits, combien ils seraient plus forts encore que les 3emes… Les premiers jours de la rentrée (et le reste de l’année, car elle a réussi à les garder fascinés toute l’année), chaque soir, mon fils revenait excité et enchanté, avec ses miracles promis, ces pouvoirs qu’il aurait bientôt entre ses mains. Elle maniait le vouvoiement auprès des enfants et leur expliquait qu’elle les respectait comme des adultes. Le plus cocasse et épique de sa stratégie était de parsemer quelques savoureuses surprises, et, dès le deuxième jour, elle abordait sans complexe la partie de programme concernant la reproduction humaine. De quoi nourrir leur soif d’étonnement et stupéfaction.
Suivez le guide !
Mais je pense qu’il est temps de séparer le rôle de l’enseignant de celui du comédien face à son auditoire ou du pouvoir absolu. Un enseignant peut parfois apporter des morceaux de savoirs spectaculaires, mais son principal rôle consiste à guider, proposer la méthodologie pour que l’apprenant, en lui-même, soit capable d’émettre l’eurêka magique en prenant possession de la connaissance. Sachant que la connaissance au jour d’aujourd’hui se trouve partout, mais que la difficulté est donc de savoir comment s’y prendre pour la trouver, la comprendre, l’analyser et en faire ce que peut.
Sauf dans les grandes tribunes post-bac, où l’on invite les « stars spécialistes », l’enseignant ne peut plus se permettre d’être uniquement le centre de l’attention. Et lui-même joue de ses multiples attentions : attentif à tous, attentif à chacun.
Aider l’enfant à apprendre, comprendre l’attention et son le rôle dans l’apprentissage. [1]
Tous les jours, petits ou grands, du matin au soir, du 1er jour au dernier, nous apprenons. Nous vivons en expérimentant, et de chaque moment nouveau vécu, le cerveau engrange les informations pour compléter sa « base de données ». Pour Stanislas Dehaene, « L’apprentissage est presque la fonction la plus générale du cerveau ». Notre cerveau est fait pour apprendre, il est « plastique », se transforme, change son cablage en fonction des connexions que nous créons avec les apprentissages. L’évidence aussi exprimée par Céline Alvarez et bien d’autres depuis bien longtemps. Ce à quoi nous portons attention nous apprend. Et l’acte d’apprendre a été source de réflexion depuis l’antiquité. Je n’en retiendrai que la théorie de la gestion mentale d’Antoine de La Garanderie, pour qui cinq gestes sont fondamentaux dans l’acte d’apprendre, afin de bien montrer combien l’attention est présente et nécessaire.
- Le geste de l’attention : se mettre en projet, faire exister dans sa tête, évoquer. Le geste de l’attention passe par une perception par les 5 sens, on est en présence de ce qui est perçu. Pour mobiliser l’attention d’un enfant on l’incite avec « regarde ce que je vais te montre » ou écoute ce que je vais te dire »
- Le geste de mémorisationse fait avec un projet précis à court, moyen ou long terme, il permet de rappeler l’évocation dans un but précis. Par exemple je mémorise la propriété en mathématiques pour pouvoir l’appliquer dans les exercices. Ou je mémorise le numéro de téléphone de mes parents pour pouvoir les appeler.
- Le geste de compréhension : est un aller-retour permanent entre ce qu’on perçoit et ce que ça évoque et y donne sens. Cela active les liens avec la mémoire en y cherchant des rapports. Comprendre c’est prendre pour soi et être capable d’utiliser ses propres mots.
- Le geste de réflexion ne peut être réalisé que si les gestes d’attention, de mémorisation et de compréhension ont été effectués. La réflexion nécessite d’avoir à l’esprit tout ce dont on a besoin, et donc l’accès aux connaissances, notions pour effectuer la tâche à réaliser. Pour l’aider, on peut dire à l’enfant : « lit bien l’énoncé, de quoi as-tu besoin pour réaliser la consigne ? »
- Le geste d’imagination : permet de créer, inventer à partir du connu. Cette faculté n’est pas attribuée qu’aux esprits créatifs, tout individu la possède. Refuser d’imaginer sous prétexte qu’on ne sait pas faire peut se débloquer en partant de tout ce qui est connu pour l’utiliser, et imaginer.
Adopter la posture de guide et d’accompagnant
La présence à soi-même et aux autres assouplissent et enrichissent la relation pédagogique. La connaissance de soi aide l’enseignant à trouver la sécurité nécessaire pour vivre un peu plus paisiblement les difficultés, les remises en cause, les changements qui s’imposent, en tenant compte, sans culpabilité, de ses limites.[2]
En classe, l’enseignant se doit d’être attentif à plusieurs éléments simultanément :
- Le contenu, qu’est-ce qu’on a à apprendre (objectifs cognitifs ou méthodologiques).
- Comment le faire apprendre, la mise en œuvre (démarche pédagogique).
- Et : prendre en compte les réactions des apprenants.
Ces trois éléments interagissent et obligent l’enseignant à réajuster constamment. Pour en être capable, l’enseignant utilise une attention vigilante… ce type d’attention induit de la fatigue nerveuse.
Si déjà, l’enseignant a compris et maîtrise son attention, il saura la moduler pour réduire sa fatigue, ce qui le rendra plus disponible, moins tendu, et plus ouvert et efficient !
Comment moduler son attention en situation d’enseignement ?
L’attention de l’enseignant se lit dans sa posture en classe, ses mouvements, ses intonations, tout ce que son corps exprime malgré lui. Avant de mettre en scène son corps, l’enseignant peut trouver la juste posture, le juste ton, en cherchant au fond de lui-même sa juste voie.
- Donner le cadre (structure, finalité, moyens mis en œuvre), inciter l’apprenant à créer lui-même des liens vers ce qu’il connait déjà, et lui permettre de moduler lui-même son attention, en position active ou passive.
- Entendre ce qui dit son corps, repérer ses états de fatigue, son rythme respiratoire, ses émotions (cf conscience du corps)
- En cas de perte du fil de la pensée, marquer un temps d’arrêt, et revenir à ses sensations corporelles (cf centrage), exemple, toucher un stylo tout simplement
- Analyser ses pensées et réactions : mieux se connaître, mieux se comprendre, reconnaître plus vite les signes gênants d’agacement, d’agressivité, de découragement, de doute de soi pour pouvoir les mettre à distance (pratique de la méditation, des techniques de relaxation et de sophrologie). « Celui qui est conscient de ses réactions gagne en liberté par rapport à elles, évite de mettre en place des comportements stéréotypés, s’adapte plus facilement à la réalité de l’instant. Il se laisse moins surprendre et déborder puisqu’il perçoit mieux le signal d’alarme de la fatigue ou de l’énervement.»[3]
Il en résultera une meilleure disponibilité et écoute de l’apprenant, et ouvrira la porte à la possibilité accrue d’interaction : l’apprenant pourra s’exprimer plus pour expliciter sa manière d’aborder et raisonner, ce qui permettre à l’enseignant de mieux ajuster sa méthode et de permettre aussi à l’apprenant d’élaborer ses propres méthodes, comprendre ses erreurs et s’en servir comme tremplin pour progresser.
La dynamique d’enseignement se recentrant sur l’apprenant permet à l’enseignant de prendre plus de distance, donner la possibilité d’action à l’apprenant et… donc de mieux guider, sans risque d’écorner son amour propre sur son savoir et son maintien de l’autorité. Les attitudes provocatrices ou frondeuses se développent face à la peur de l’échec, la non reconnaissance, le refus de l’autoritaire et la non-implication. Il est plus facile de débrancher ces attitudes en donnant la liberté d’agir, en fournissant les moyens de réfléchir pour débrancher les réactions primaires émotives (attaque, fuite, inhibition) de l’apprenant.
Installer les codes de l’écoute active
Il peut être intéressant d’expliquer les codes des stratégies d’écoute active en classe. Ceux-ci permettent à l’élève de se mettre en disposition de développer son attention dirigée. Il est indispensable de faire comprendre à l’enfant que ces stratégies d’écoute sont des codes qui montrent qu’il est prêt à recevoir la consigne. Par la suite, si c’est bien compris, cela devient un automatisme. Il est également essentiel de tenir compte des facteurs éducatifs et culturels de chaque enfant. En effet, dans certaines cultures regarder quelqu’un dans les yeux est un signe d’affront[1].
Comment peut-on aider l’attention à se focaliser sur l’écoute ?
– En regardant la personne qui parle.
– En posant ses crayons et son matériel sur le bureau.
– En posant les mains à plat sur le bureau.
– En prêtant attention aux explications.
– En n’interrompant pas la personne qui parle.
– En reformulant dans ses mots ce qui a été dit.
– En posant des questions, en levant la main, s’il n’a pas compris quelque chose.
[1] DEWARD Céline, Travail de fin d’études « Comment aider efficacement un enfant souffrant de troubles déficitaires d’attention/hyperactivité (TDA/H) en classe ? http://tdah.be/sep/DewardCeline-tdahClasse.pdf
[1] Sources, entre autres, http://web2.uqat.ca/profu/textes/strat_app/05concentration.htm
[2] IRDC Vittoz, Développer son attention et sa concentration, 2éme édition, l’essentiel, Chronique sociale, 2014.
[3] IRDC Vittoz, Développer son attention et sa concentration, 2éme édition, l’essentiel, Chronique sociale, 2014.
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Vous pouvez aussi vous inspirer dans les ouvrages suivants (Bibliographie extraite de la synthèse effectuée pour la rédation de l’ouvrage j’aide mon enfant à être attentif)
- Audrey Akoun et Pailleau Isabelle (2013), Apprendre autrement avec la pédagogie positive : à la maison et à l’école (re)donnez à vos enfants le goût d’apprendre, éditions Eyrolles.
- Camille Benoît, Stéphanie Couturier, Le cabinet des émotions : Aider votre enfant à se concentrer et à mémoriser, Exercices et outils pour stimuler ses capacités d attention, Marabout avril 2018
- Jacques Choque, Concentration et Relaxation pour les Enfants, 100 exercices pour l’école et la maison, Charles Giai-Gischia (Illustration), 2000 Albin Michel
- Thierry Dias (2015), Nous sommes tous des mathématiciens : Des clés pour faire aimer les maths à vos élèves, Magnard Collection : Questions d’éducation
- Pierre Paul Gagné (2004), Pour apprendre à mieux penser : Trucs et astuces pour aider les élèves à gérer leur processus d’appentissage, éditions de la Chenalière inc.
- Bruno Hourst, J’aide mon enfant à mieux apprendre, Eyrolles, Octobre 2014.
- Louis Musso (2014), Sortir de l’échec scolaire : un guide à l’usage des parents, éditions Grancher.
- Pascale Pavy, Ma pause concentration, 30 activités pour favoriser l’attention : 4-10 ans, Mango
- Marie Poulhalec, 12 outils pour capter l’attention des enfants, Jouvence, Janv 2017.
- Marie Poulhalec, Mon cahier poche : Je capte, je renforce et j’entretiens l’attention des enfants, Jouvence, Mai 2018.
- Les petits jeux de concentration les plus amusants, Collectif, Juin 2017
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